Merci à André Lombard dont l’aide m’est toujours aussi précieuse…
« …Serge Fiorio dont l’oeuvre peint respire à la même hauteur que l’oeuvre écrit de son cousin Giono. »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono
À Montjustin en 2010…
C’est le 15 septembre 2010 à Montjustin que j’ai rencontré le peintre Serge Fiorio…
Serge, j’en avais entendu parler lors de nos visites au Paraïs à Manosque. Son hospitalité, sa bonhomie, son sens de l’accueil nous avaient été racontés…
À l’entrée de Montjustin, une des premières maisons sur notre gauche, et là une belle surprise nous attend lorsqu’il nous a interpellés depuis la fenêtre de son atelier, proposant son aide.
Quelle joie encore aujourd’hui la mémoire de cette rencontre hors-normes pour moi… Le voilà devant nous, souriant, proposant de visiter sa maison, ce qui fut fait immédiatement, cet atelier où sans aucun doute beaucoup de ses oeuvres ont vu le jour.
Quelques tableaux, un portrait de Jean Giono trônant en bonne place sur un chevalet, palettes et pinceaux en quantité, c’est un univers enchanteur qui s’offre à nous avec une vue superbe sur le Luberon, comment ne pas être inspiré par de tels paysages.
Comme je lui exposais le but de mon escapade au village, sans hésitation il nous raconta, en vrac, la vie à Montjustin, Lucien Jacques et Jean Giono, sa vie à lui et son grand âge… Il allait avoir 100 ans… (1)
« En m’installant à Montjustin, j’avais la certitude très forte de prendre là un chemin dont je ne dévierai plus. »
Serge Fiorio
Serge nous a quittés début 2011 à la veille de ses 100 ans. Il repose au petit cimetière de Montjustin.
Je dis cimetière mais je devrais dire « jardin », tant cet endroit ne ressemble que de très très loin à un cimetière.
A Taninges, Serge et son cousin Jean Giono
Si lors d’un séjour savoyard je suis allée jusqu’à Taninges (Haute-Savoie), c’était pour une bonne raison.
Retrouver trace du passage de Serge Fiorio, le peintre de Montjustin dont Jean Giono était le cousin.
« Aussitôt démobilisé, papa est revenu au bercail, il a repris son entreprise en main, un chantier ici, un chantier là, chaque fois ou presque, il nous fallait le suivre, déménager. Nous l’avons fait dix ou douze fois avant de nous installer, pour 16 ans, à Taninges, en Haute-Savoie où associé à tonton Ernest, il y exploita une carrière à ciel ouvert. »
Serge Fiorio – dans « Habemus Fiorio ! » – André Lombard (La Carde éditeur)
Au coeur de la vallée du Giffre, sur la route de Samoëns, Taninges se trouve à la croisée de deux torrents, le Giffre et le Foron.
C’est un gros bourg encadré de montagnes qui mérite qu’on s’y attarde. Le torrent qui le traverse lui donne du caractère, les abords sont joliment fleuris, le centre ancien et la Chartreuse de Mélan valent le détour.
Il faut oser s’aventurer, découvrir le charme du centre historique, la place du marché qui semble avoir peu changé au fil des siècles, les ruelles escarpées étroites et sombres, la rue des Arcades, le vieux pont fleuri qui enjambe le Foron. Cet ensemble contribue au charme tranquille de cette commune de Haute-Savoie.
Nous poursuivons notre balade jusqu’à la Chartreuse de Mélan.
Édifice imposant et parfaitement restauré, la Chartreuse semble faite pour ce décor somptueux, c’est un riche patrimoine qui abrite aujourd’hui de belles expositions d’art, on y donne aussi des concerts.
En altitude se trouve la station de ski de Praz-de-lys -Sommand.
Je suis donc partie à la recherche de Serge, recherche plus ou moins fructueuse il faut le dire…
Toutefois à la « Maison du Patrimoine » et à « l’espace Jacquem’Arts » l’accueil fut formidable.
« L’espace Jacquem’Arts » accueille tout au long de l’année de belles expositions d’artistes régionaux et la « Maison du Patrimoine » fait découvrir l’histoire de la commune et la vie sociale du pays au fil des siècles, le tout richement documenté.
Il était une fois …
Après avoir beaucoup cherché et trouvé, voici quelques photos du site de la carrière de pierres exploitée par la famille Fiorio , du moins ce qu’il en reste envahie par la végétation – (Photos été 2021)
Émile et Ernest Fiorio habitent Taninges depuis 1924, ils sont les fils de Marguerite Fiorio née Giono, soeur du père de Jean Giono. Ils sont à cette époque entrepreneurs de travaux publics.
Serge Fiorio, fils d’Émile, a deux frères Aldo et Ezio, ainsi qu’une soeur aînée prénommée Ida. Il s’installe à son tour à Taninges en 1924 et là je laisse la parole à mon ami André Lombard (1), qui mieux que lui pour dresser le portrait de Serge, lui qui a vécu au plus près de l’artiste. Voici donc ses mots :
« Serge a vécu à Taninges de 1924 à 1940. Mais à partir de 1936, pensant ainsi avoir plus de temps pour peindre, il n’a plus travaillé à la carrière paternelle où il cassait du caillou. Il s’est installé photographe au village. »
« Je travaillais au chantier de bon coeur. J’avais besoin de sentir que j’avais des muscles, qu’ils pouvaient me permettre la confrontation avec les pénibles travaux physiques. Cela m’a donné beaucoup de force et d’assurance par-delà les grandes et bénéfiques fatigues.
S’allonger le soir, après une journée de dix heures à charger des wagonnets de pierres, et sentir un bien-être à faire rêver, cela me convenait. Le travail en équipe aussi. Travaux de carrier, puis d’entretien et de tracé de routes, ont rempli ma vie pendant dix années. »
Serge Fiorio
Quelques photos des ouvriers carriers prises par Serge à Taninges (Photos A. Lombard)
Selon toute vraisemblance, lui n’y travaillait plus, étant sans doute venu
ce jour-là en visite amicale et, aidé d’un retardateur, faire la photo souvenir. »
(André Lombard)
« Mais il ne gagnait pas sa vie ; de plus les rares bonnes journées de belle lumière, il était obligé de les consacrer, non à peindre comme il le souhaitait, mais à la photographie !
N’empêche, il a fait le portrait de nombreux compagnons ouvriers, et peint à ce moment-là de grands formats comme « Les joueurs de Morra » et la « Cérémonie du cheval » par exemple, qui sont des toiles majeures de ce qu’il est maintenant, selon la judicieuse dénomination inventée par Gérard Allibert, convenu d’appeler « La période solennelle » de son oeuvre peint. »
André Lombard
« A cette époque des premières années trente, Giono venait chaque été en vacances chez les Fiorio ; Serge lui a alors servi de guide pour de grandes randonnées en montagne et ils ont ainsi beaucoup partagé. »
André Lombard
Quelques courriers de la main de Jean Giono à Lucien Jacques relatant ses visites à Taninges chez les cousins Fiorio :
Le 19 août 1930 :
« Je pars après-demain pour Taninges Haute-Savoie chez mes cousins Fiorio où m’attendent tous mes cousins et cousines de la Suisse. J’avais une faim terrible de voir ce monde des Giono. Je t’ai dit ce que c’est que l’atmosphère de cette famille. Alors tu comprends. Et puis c’est un peu toute la jeunesse qui est restée là. Et puis tout un tas de choses bien loin ; et ils sont si gentils. »
Le 05 septembre 1931 :
« Mes gionesques cousins, des gars de vingt ans, avec la barbe, et 1m92 de haut et 1m de largeur d’épaules, (il y en a un que j’appelle Jupiter jeune et l’autre Dyonisos). (…) J’irai passé cet hiver, tout l’hiver à Taninges… Mes cousins sont tous les deux terrassiers et Jupiter conduit les camions de l’entreprise. Mon cousin Serge, celui que j’appelle Dyonisos et qui est tellement beau qu’on ne peut y croire, dessine si bien que j’ai promis de le mener un jour à Paris pour lui faire visiter le Louvre. Il y a quelque chose à faire avec ce garçon : souple, intelligent, savant de la bonne science, un sac de sang. »
Le 10 août 1932
« Je vous attends, toi, Rose et Hugues pour le 15 août à Taninges. Si vous ne veniez pas, ce serait pour moi un très gros chagrin.
Route depuis Grenoble :
Montmélian, Albertville, Ugine, Flumet, Mégève, Sallanches, Cluses, Taninges.
La plus belle, la plus ‘routable’, la plus courte. (Chez Émile Fiorio rue des Arcades Taninges). »
Octobre 1933
« Je suis ici avec mes cousins Émile, Ernest, Aldo, Serge et Ezio. Tu dois comprendre quel bien cela me fait mais tu ne peux pas savoir jusqu’à quel point, je me sens comme en transfusion de sang. »
Correspondance Jean Giono-Lucien Jacques, 1930-1961-Cahiers Giono 3, Gallimard 1983
Pendant l’hiver 34, comme d’autres fois auparavant, Serge descendra à Manosque et l’écrivain lui demandera de faire son portrait. Voici ce qu’en dit André Lombard dans son « Habemus Fiorio ! » :
« Pour le moment nous ne sommes qu’en 1934, Serge descend encore une fois innocemment de Taninges « pour passer quelques jours » chez son cousin et rien ne peut laisser présager ce qui l’attend de nouveau sous le ciel magique de Haute-Provence. Il est heureux que ce soit Giono lui-même qui lui ordonne, presque le somme, en fait, de faire son portrait. (…)
J’ai narré, dans le « Serge Fiorio » des éditions Le Poivre d’Âne, comment Giono en gare de Manosque, lui laissant à peine le temps de descendre du train, de poser son sac, aussitôt l’entreprend.
« Maintenant, tu vas aller plus loin, tu vas faire mon portrait ! » lui dit-il à ce moment-là, sans l’ombre du moindre paternalisme mais quand même, non plus, sans aucun ménagement. Giono est sûr de lui parce que déjà sûr de Serge surtout, en son for intérieur. »
Evidemment, cette invite est un cadeau du ciel, une manne pour le jeune peintre ! Mais personne n’en sait rien encore, personne ne peut vraiment savoir, ni deviner. »
« Serge se souvenait encore très bien que, tout au long de ce séjour, « pour ne pas déranger l’autre », ils ne s’étaient que très rarement adressé la parole par-dessus la petite largeur du bureau qui alors seulement les séparait. »
« Plus tard, il notera : « Je pense qu’en me commandant son portrait, Giono savait pertinemment que c’était là le chemin le plus direct pour m’ouvrir, toutes grandes, les fenêtres de ma propre liberté d’artiste. »
Oui, c’était là, généreusement le pousser à faire la belle, à sortir de sa chrysalide et à ouvrir grand ses ailes. »
André Lombard – Habemus Fiorio !
Retour à Montjustin…
Je laisse de nouveau la parole à André Lombard :
« Serge a le bon réflexe d’aller s’ouvrir à Giono du rêve, commun à lui et à son frère de s’installer près de lui en Haute-Provence.
Le poète l’aiguille naturellement, mais comme à tout hasard, vers Montjustin où son découvreur et ami Lucien Jacques, poète et aquarelliste de talent, vient d’acquérir une maison et quelques ruines. » (…)
« Ici au moins même si nous devons en baver, nous aurons tout ça…! »
« Et tout le ciel qui va avec ! »
« Je me suis rendu à Montjustin sur le champ ! Lucien Jacques m’y a accueilli et hébergé pendant trois jours. » raconte Serge aujourd’hui.
« Après il remontera à Taninges faire part à Aldo de son enthousiasme pour ce village quasi abandonné. (…) Ils y reviennent ensemble dès qu’ils le peuvent.
Sitôt devant les lignes bien orchestrées de la montagne de Lure et de ses contreforts, devant le Luberon animal, devant les Alpes pures sous un ciel de crystal, Aldo s’exclame, soulignant ses paroles d’un large geste du bras et de la main ouverte :
« Ici au moins, même si nous devons en baver, nous aurons tout ça ! »
André Lombard – Pour saluer Fiorio – (La Carde éditeur)
( l’atelier de Serge à l’étage, les deux fenêtres de face et celle du côté rue)
Une rétrospective de l’oeuvre de Serge s’est tenue à Taninges en 1983. Une trentaine de toiles choisies dans la bonne soixantaine d’années de travail alors écoulées furent présentées dans les salons de la mairie, constituant la toute première rétrospective Serge Fiorio.
Michèle Reymes
(1) André Lombard : Auteur : http://sergefiorio.canalblog.com/
Un des livres d’André, « Pour saluer Fiorio »
est en bonne place sur le présentoir !